PIERRE LARFOUILLOUX PASTELLISTE

Pierre Larfouilloux, pastelliste, se situe dans le mouvement de renaissance qu’a connu le pastel au XXème siècle. C’est par ailleurs un esprit moderne toujours à la recherche de formes d’expression, d’expériences nouvelles, même s’il aime s’appuyer sur la tradition de grands maîtres comme : La Tour, Chardin, Degas, Odilon Redon. Son admiration pour l’art du XVIIIème siècle montre combien il avait le sens du pastel. Rebelle à toute forme d’académisme, d’enfermement dans une école, il demeure assez inclassable, il est un autodidacte. S’il a aimé peindre les paysages de sa région, les bords de la Veyle et les bords de Saône, il ne peut être tout à fait pris pour un peintre régionaliste, même s’il est surtout connu dans sa région, car il a peint aussi des paysages de montagne, de Bretagne, de la mer et de l’Italie. Il peut être surtout considéré comme un paysagiste, car il pensait que c’était dans ce domaine qu’il avait le plus fait preuve d’originalié et de personnalité, mais il a aussi peint des fleurs, des natures mortes, très peu de portraits, comme si le pastel avait été, selon lui, trop associé au portrait et aux fleurs.

Sa vocation naît dans la petite enfance. Très tôt, il ressent le pastel comme le moyen d’expression idéal de ses propres impressions poétiques. Comme il écrira, à la fin de sa vie « j’ai toujours pensé pastel ». Au lendemain de la guerre de 14, au moment de son adolescence il présente un carton de pastels de paysage dans le but de rentrer aux Beaux-Arts, projet qu’il doit abandonner. C’est surtout à partir des années 50 jusqu’à son décés en 1968, que sa veine créatrice va se donner libre cours et donner naissance à de nombreuses œuvres : natures mortes, fleurs, surtout des paysages. Parcourant la campagne où il plante son chevalet, il saisit les lumières fugitives, l’air léger, les reflets dans les eaux qu’il traduit par l’éclat de ses pastels aux infinies nuances, aux fraîcheurs inédites et à la matière subtile et délicate. Il faut dire qu’il a à sa disposition plus de 600 nuances de pastel, ces bâtonnets fabriqués par la Maison Roché de Paris dans le respect de la grande tradition. Il réalise des sortes d’instantanés comme a pu le faire Delacroix dans ses pastels au cours de son voyage vers l’Orient. Il tente de croquer sur le vif ce qu’il y a de plus insaisissable dans la forme et la couleur. S’il fallait le situer quelque part dans les mouvements esthétiques, ce serait plutôt dans la tradition de l’esthétique postimpressionniste, avec cette vision franche et sensible, en pleine nature qui a été celle d’Eugène Boudin, de Claude Monet, d’Edgar Degas qu’il admirait plus que tout. Ce charme de la chose vue que, grâce à sa matité, à l’éclat et à la pureté de ses couleurs le pastel permet tout particulièrement de rendre en épousant au plus près les effets de la nature, peut se résumer dans cette phrase de Sainte-Beuve, un auteur que Pierre Larfouilloux appréciait : « La nature avant tout, la nature en elle-même ».

 

 

UNE RECHERCHE CONSTANTE SOUS LE SIGNE DE LA POÉSIE

Comme il est toujours en recherche, son style évolue d’une forme de classicisme et de réalisme au départ, pour aller vers une écriture plus sobre, plus légère et dépouillée, comme dans le pastel Fin de repas (Novembre 1965). Il s’en tient à ce qui est senti et ressenti, à ce qui est donné plutôt qu’à ce qui est construit, il se méfie d’une trop grande technicité qui ferait perdre la fraîcheur, l’émerveillement de cette première rencontre avec le monde. Dans la nature il observe le lieu, s’en imprègne, en se laissant guider par les harmonies secrètes, la subtilité des lumières, l’esprit qui se dégage de l’instant fugitif qu’il veut fixer dans la matière du pastel par un geste qui lui est à chaque fois personnel. Il ne cherche pas à recomposer intellectuellement le paysage, à réaliser, comme il le dira, une construction géométrique cérébrale, il accueille le visible qui éveille en lui une émotion poétique. Tout est « donné » comme il dira et il apprendra aussi à se méfier de toute tentation due au métier qui pourrait gâcher cette émotion première et empêcher le peintre de la restituer. Lyrisme et inspiration, voilà tout son art. D’ailleurs il écrira : « Je ne vois pas le monde de la peinture séparé de celui des poètes ». Toute sa culture personnelle est marquée par la littérature classique (il connait par cœur Phèdre de Racine), par la poésie, par des poètes comme Mistral, Baudelaire, Verlaine, Louis le Cardonnel, Apollinaire … dont il connaît par cœur les poèmes et qui inspirent directement sa création. Commentant un de ses paysages des bords de Saône il cite dans une de ses lettres l’Art poétique de Verlaine :

De la musique avant toute chose
Et pour cela préfère l’impair,
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Une poésie sans pesanteur ni pédantisme, voilà bien tout son art. Le pastel « le procédé le plus léger, le plus fugitif, écrivait Paul Desjardin, c’est le pollen des lis, la poussière des ailes de papillon qu’on dépose et qu’on fixe sur le papier. Il faut lui demander de rendre le plus fugitif de la nature. »

 

 

 

LA NAISSANCE ET LA RÉALISATION DE L’OEUVRE

Sous ses doigts, l’œuvre jaillit d’un seul jet, sans effort laborieux, avec un minimum de reprise. Il ne s’appesantit pas sur le détail afin de donner un caractère enlevé et vivant à sa création. Il saisit au vol la physionomie d’un ciel changeant et, en quelques instants, il rend les poétiques nuances d’un ciel printanier ou d’un soleil couchant. Comme on l’a dit, dans cette course contre la montre pour éterniser l’instant par essence fugitif, le pastel est le matériau le mieux adapté par sa légèreté, son aspect non encombrant qui ne nécessite ni temps de préparation ni temps de séchage. Un dessin des grandes lignes est esquissé rapidement sur un support, un papier de verre particulier plus ou moins fin ou plus rarement un papier de velours, de teintes beige ou grise. La feuille est punaisée sur un contreplaqué léger positionné sur un chevalet en pleine nature, sauf pour les fleurs ou natures mortes qu’il réalise dans son atelier baigné de lumière qu’il a spécialement aménagé dans sa maison de Pont-de-Veyle.

Il réalise son dessin au crayon, à la craie grasse, à la sanguine ou particulièrement en période hivernale au fusain. Pour certains de ses dessins il s’inspire parfois de photos qu’il a réalisées lui-même, développées et agrandies par ses soins. Pour les pastels, il veille à libérer leurs capacités à se juxtaposer, à s’associer ou à se mélanger, tout en veillant à leur préserver cette fraîcheur de couleur qui leur est propre. Avec délicatesse, la poudre du pastel sec peut être déplacée par l’extrémité des doigts ou par le bout conique de l’estompe, créant ainsi de subtils passages de teintes. L’écrasement de la matière provoqué par la main exalte les couleurs et restitue la gestuelle inspirée du créateur. Parfois ce sont des hachures juxtaposées qui produisent un effet des plus heureux. Comme dans les portraits au pastel de Renoir, les hachures confèrent à l’œuvre un aspect vibrant, sensible, en évitant tout aspect figé. Le bâtonnet est plus ou moins incliné, plus ou moins pressé par les doigts. La touche adoucie par l’estompe sera parfois soufflée, laissant apparaître le fond du papier.

Quand l’œil a jugé qu’il fallait s’arrêter (toute surcharge, toute correction étant nuisibles) vient le temps du fixatif déposé par le pulvérisateur à bouche. L’œil étroitement associé à la main aura guidé tout au long la création en lui évitant les écueils que les excès du métier produisent. L’œuvre possède toutes les qualités de ces œuvres dont parlait Diderot en ces termes : « C’est le moment de chaleur de l’artiste, la verve pure sans aucun mélange de l’apprêt que la réflexion mêle à tout ; c’est l’âme du peintre qui se répand librement. »

 

Pierre Larfouilloux a très peu exposé de son vivant. Plus de quarante ans après son décès une belle exposition de ses paysages a eu lieu en Bresse en 2010 puis en 2013 une autre exposition au Salon International du Pastel à Tournus. En 2011 est créée une association : Mémoire et Connaissance des Créations Artistiques de Pierre Larfouilloux (MECOCAPL) qui a pour but de faire connaître et apprécier ses créations car son œuvre nous parle encore.

 


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